dimanche 24 octobre 2010

walking is the way: esther ferrer en performance au centre pompidou


Une petite femme vêtue d'habits masculins, monte sur la scène de la Petite Salle du Centre Pompidou. C'est le 7 octobre 2010, les 19 heures passées depuis peu.
C'est Esther Ferrer, artiste performer espagnole classe 1937, qui, depuis les années 1960, pratique une art particulière mêlant la rigueur, l'humeur, le détournement et l'absurde1.
Une qualité commune à ses pratiques – commune d'ailleurs à la totalité des expériences de performance des avant-gardes aux années 2000 – fut de déstabiliser les systèmes de convention non seulement des disciplines artistiques, mais de la vie entière.
C'est ainsi que cette performance qui est une conférence ou une conférence qui est une performance2 rompt complètement avec les conventions de la conférence, en conservant de celle-ci que certaines formalités accessoires (bureau, bouteille d'eau, micro, etc.).
La forme essentielle disparaît: pas de voix, pas de mots, pas de médiation conventionnelle pour transmettre des concepts.
Impossibilité du discours: ce qui reste c'est la performance, avec ses attributs, ses adjectifs, ses appellation, ses infinies tentatives de se donner une définition stable et durable. Un hypo-discours sur la performance.
Dans l'impossibilité d'un discours efficace (traditionnel) sur la performance, il ne reste que l'action, la dé-monstration, la pratique, qui finit par coïncider avec l'explication théorique de ce même art. Une théorie qui devient pratique ou une pratique qui devient théorie3.
Esther Ferrer, assise derrière son micro muet, mets en scène l'histoire de la performance, dans toutes ses déclinaisons, jusqu'à rester nue devant ses spectateurs, nues avec son corps d'artiste.
Après, d'un coup, elle commence à donner une voix à ses paroles: seule la biographie peut être dite, avec toutes les difficulté d'un langage qui est, néanmoins, possible, au travers de plusieurs langues.
A la fin d'une carrière c'est ce qui reste: plus de mots pour dire, seule l'action, et la vie.

La deuxième partie de la conférence laisse la parole aux images d'archive, avec la projection des enregistrements vidéo des performances réalisées au gré des années, en Espagne, à Paris, en Pologne...

Pendant la projection, Esther Ferrer intervient, avec une ponctuation de phrases qui éclaircissent certains aspects de son travail: la nécessité d'une structure pour pouvoir transgresser, le refus de la dramatique et de la théâtralité,(« l'erreur au théâtre c'est la catastrophe, l'erreur dans la performance c'est la vie »4), l'importance de l'action sur la parole, même dans une performance radiophonique5 , l'utilisation d'éléments chargés     d'un simple symbolisme,
la désacralisation, la dé-conceptualisation, la  spontanéité, l'adaptation de la performance aux circonstances in situ...

La conférence est terminée, Esther Ferrer laisse la scène, la salle, le Forum -1, le Forum, la Piazza, et tout le monde la suit: elle salue son public avec sa fameuse performance Walking is the way.


 Il n'y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant.6


giulietta gabo




1Ferré Svlvie, communiqué de Presse du Festival d'Art vivant « Polysonneries » de Lyon, 2001
2Esther Ferrer, dans Codes Couleur, journal d'actualité du Centre Pompidou, septembre/décembre 2010, p.62.
3Ibid.
4Esther Ferrer
5TA TE TI TO TU o la agricultura en la Edad Media
6Ce texte apparaît, en espagnol ou en anglais, sur de petit, bout de papier qu'elle laisse derrière elle, collés sur la bande adhésive qui accompagne sa marche pendant cette perfromance.

samedi 16 octobre 2010

oeuvre d'art - fragments

Je vous propose un texte, impulsif et assez vague, qui manque d'informations bibliographiques, mais qui a été écrit à partir d' une nécessité trés forte à d'ajouter quelque chose à l'intervention que j'ai fait aujourd'hui pendant le cours. Merci beaucoup.







Oeuvre d'art - Fragments



"Il y a un moment pendant lequel, pour la première fois, l'œuvre d'art s'offre au regard de celui qui est sur le point de vivre l'expérience artistique. Le spectateur devient le lieu où la matière artistique se dépose. L'être humain s'accorde le temps de toucher, sentir, observer, expérimenter et partager quelque chose avec la matière. Ainsi, il a accès à une expérience tellement singulière et sensible, si unique et exceptionnelle.

Dans ce texte, des fragments liés à ce regard, mais surtout à la matière dans laquelle le regard se dépose, sont proposés: c'est une expérience artistique où le particulier et l'universel convergent et se fusionnent.

La valeur de l'œuvre d'art change, et se décline par rapport au contexte dont elle trouve son origine et d'où elle apparaît. L'activité artistique prend forme dans un contexte spécifique socioculturel dans lequel elle se développe. L'art devient l'un de moyens possibles qui permettent de décrire et raconter la réalité, ses aspects positifs et ses inconvénients. L'art a le pouvoir de façonner le potentiel du monde ; l'art – interprète de son propre temps - est l'expression du réel, des aspects qui le constituent et le fondent. Dans l'art – simultanément cause et effet du contexte historique – le sens est élaboré collectivement. Une vérité unique n'existe pas: l'œuvre d'art devient interprétation, expression et voix de la période – même qui l’a vue naître, de ce qui fut et ce vers quoi l’on tend. L'œuvre d'art est au même temps origine et effet, résultat et résultante.
L'art est en constante devenir : elle change sa forme, son langage, sa technique; elle rend compte des changements perpétuels du contexte où elle est inséré et dont elle est témoin. Devant l'œuvre d'art, on amplifie les facultés perceptives et la possibilité expressive. Autour de l'œuvre d'art, on stratifie des propositions descriptives et beaucoup d'interprétations. Dans l'œuvre d'art, on se jette, parce qu’il faut la vivre.

Mais dans un paysage contemporain multiforme et varié, quelle est la valeur de l'œuvre d'art? Quelle est sa signification profonde? Il faut vraiment s'interroger et comprendre comment elle qualifie l'expérience des êtres humains qui l'aiment et la regardent.
Même si l'objet d'art dans certains cas de l’histoire de l’art s'est effondré, s'est réduit au minimum, ou c'est dématérialisé pour se laisser la chance de devenir un espace vide – qu'est ce que confirme alors la puissance et la force de la matière artistique? En tout cas, quels besoins sont cachés dans l'absence d'un objet à admirer?

La valeur de l'œuvre d'art n'est plus fixe, immuable et immobile, mais elle change dés que l'histoire change. Les contextes évoluent également. Cette valeur change par rapport au spectateur qui revête ce qu'il voit d'une signification profonde, qui investit et façonne la matière visible – vive – à partir de son histoire, ses projections et ses attentes.
Nous souhaitions que l'art exprime la valeur temporelle du présent, mais aussi, paradoxalement, nous lui demandons le contraire: on aimerait que l'œuvre d'art nous prenne et traîne ailleurs, vers un monde que nous ne nous attendions pas, dans un endroit étrange, hautement spirituel, qui nous conduise à percevoir différemment notre vie.
L'art, comme la philosophie et la religion, a un destin transcendant. L'œuvre d'art est la révélation d'un véritable inattendu, mais possible. La chose la plus paradoxale, c'est que l'art utilise et manifeste son sens d'une façon sensible (l'universel sensible théorisé par Kant). Donc, l'expérience artistique est une activité libre, sensible de la matière et dans la matière, qui décèle la spiritualité de l'homme. Par l'art, on prend conscience que, à partir de la singularité, l'être humain peut exprimer l'universel, les intérêts les plus profonds de l'humanité, la vérité de la plus haute esprit, comme dit Friedrich Hegel. L'œuvre d'art est donc la conciliation tendue et double entre le matériel et le spirituel, l'intérieur et l'extérieur, le fini et l'infini, le particulier et l'universel. Et celle-ci est la matrice contradictoire qui toujours la caractérise.
L'œuvre d'art déclenche des interdépendances et des influences mutuelles. Elle active des processus de communication. Nicolas Bourriaud, in Relational Aesthetics, aurait dit que l'interactivité commence avec une poignée de mains qui, dans un sens, est plus intéressante que n'importe quelle relation qui pourrait se réaliser grâce au travers de moyens technologiques. Et ancore que l'artiste invente des relations entre les personnes avec l'aide de signes, de formes, actes ou de gestes". Echanges et relations, donc. Valéry même aurait parlé poétiquement d'une “poignée de mains”. Dans l'expérience artistique, il y a une perspective relationnelle dialogique - l'expérience de la communauté. C'est comme si l'identité exprimée sous la forme d'art se manifestait aux yeux du spectateur, laissant le point de vue purement individuel, en devenant le miroir de l'homme qui lui consacre son regard.
L'identité semble avoir un essence invariante, qui est en constante évolution, qui se forge et vit grâce aux rapports. C'est la rencontre entre le “Je” et le “Tu”, pôles qui se fusionne. Ces composants ouvrent une communication très subtile, qui s’éloigne du point de vue purement individuel, se multiplie et s'étend partout dans le contexte dans lequel elle vit. L'œuvre d'art est communication, bien que l'art commence exactement là où la communication s'arrête. Le regard de l'être humain se dirige vers l'œuvre d'art. Le sujet l'invoque et la reconnaît. Et c'est à cet instant que l'homme se reconnaît universellement.
C'est toujours le spectateur qui décide combien de temps, et comment se consacrer devant l'œuvre d'art. Il la reconnaît comme source de modelage de comportements dans la réalité et dans le monde, et comme fort potentiel pour de nouveaux contacts: avec soi-même, avec les autres, avec le monde. Parce que l'œuvre d'art - présence – sous sa la valeur à la fois universelle et individuelle, offre aux êtres humains plusieurs idées, suggestions, voies et orientations possibles.
Ainsi, nous réalisons qu’avec la seule raison nous ne pouvons pas épuiser l'enquête existentielle des êtres humains, par rapport au sens du monde et des formes. La raison n'épuise pas notre destin. Nous avons besoin de formes qui puissent nous aider à établir un contact humain avec l'universel – soit-t-il un contact sans certitudes, souvent inachevé.
L'expérience artistique est un espace qui doit être vécu et qu'il faut dépasser. L'art est un passage nécessaire pour percevoir le transcendant. Il symbolise la possibilité d’un départ, d'un voyage vers une terre étrangère, vers un autre temps, vers un autre espace. Angoisse inachevée et interminable vers l'inconnu. Universel sensible où l'homme devient la frontière et la liaison du contradictoire, car il s'offre comme limite entre le Possible et l'Impossible.
Lorsque l'horizon métaphysique n'est pas au-delà des choses, il est dans la singularité de chacun de nous. Au-delà de toute limite, tout en vivant la limite elle-même."

Francesca Rolla, 10273461