samedi 4 décembre 2010

Larry Clark – Kiss the past hello/Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris/ARC, 8 octobre 2010 – 2 janvier 2011

Je vais vous présenter une analyse d'exposition qui, plus qu'avancer des réflexions sur le statut de l'artiste aujourd'hui, sera axée sur le "bruit médiatique" autour d'une exposition et sur sa capacité de refléter des questions socioculturelles centrales dans notre époque.

Larry Clark, cinéaste et photographe icône de la contre-culture américaine depuis les années 1960, présente sa première grande rétrospective en France.
L'exposition, conçue de manière chronologique, vise à offrir le panorama complet de son œuvre. 
Des clichés de sa mère, Frances Clark, introduisent la première série, Tulsa, où il représente, en tirages noir et blanc de petit format, la vie quotidienne de ses proches, une vie habitée par l'amitié, l'amour, la violence et la drogue et qui incarne certains mythes américains de rébellion et de fuite de la société.
Toutes les séries qui suivent, à partir de Teenage Lust jusqu'aux travaux sur Jonathan Velasquez, en passant par Larry Clark 1992 et punkPicasso, tissent de forts liens narratifs et émotionnels entre les sentiments et les vécus de personnages des différentes époques et milieux, plongés dans des ambiances intimes et douces où la violence, toujours latente, accompagne leur temps d'adolescent.


Toute analyse correcte d'un événement artistique doit tenir compte de tout ce qui le regarde: ses composantes, sa forme, ses propos et notamment ses conséquences sur le monde, soit-il artistique, culturel, social ou politique. Pour essayer de construire une analyse correcte de cette exposition, il nous paraît donc nécessaire d'axer cette analyse non pas sur ce qui se passe dans les salles d'exposition, mais sur ce qui advient en dehors de celles-ci.
Les deux magazines d'art parmi les plus importants et les plus lus en France, Beaux-arts magazine et Art Press, ouvrent leurs éditoriaux de novembre avec l'exposition de Larry Clark et plus précisément avec le débat sur son interdiction aux mineurs de 18 ans.
L'éditorial d'Art Press souligne « une évolution extrêmement inquiétante des faits de censure », en dénonçant le fait que les institutions à l'origine de cette censure ont agi à l'encontre de leurs propres convictions et de leur propre morale – ainsi qu'à l'encontre d'une grande partie de la société – par « peur » des réactions possibles d'une petite partie, réactionnaire et bigote, de notre société.
Quant au directeur de Beaux-arts magazine, il décrit comme « aberrante et scandaleuse » la décision de la Mairie de Paris, car la totalité des photos « chaudes » est visible par tout le monde sur internet.
Il souligne que la France est le seul pays à avoir exposé et interdit les œuvres de Larry Clark.
Aux micros de France Inter, le directeur du MAMVP explique les raisons – ou, pour mieux dire, la raison – de ce choix: sur les 200 photographies présentées, une dizaine pourraient être considérées comme pornographique, pas par lui-même ou par ses collaborateurs, mais par un article de la loi(1).
Pour sauvegarder l'intégralité de l'exposition (sans censurer les 10 photos incriminable) et pour prévenir son éventuelle fermeture, la Mairie a décidé en amont ce qui pourrait ou pas choquer le public.
Par peur d'une possible persécution judiciaire et sans se soucier du risque de brimer l'expression artistique, ainsi qu'une partie importante de notre société, la Mairie de Paris a choisi d'interdire l'exposition aux mineurs, une façon de leur dire « retournez dans votre chambre ; allez plutôt regarder toute cette merde sur Internet »(2).
Mais qu'en pensent, les mineurs, les adolescents, protagonistes involontaires d'un débat socio-culturel duquel leur opinion est pourtant exclue?
Nous voulions aller les rencontrer, dans une salle au sous-sol d'un autre musée parisien, le Centre Pompidou, qui depuis cette année a crée un nouvel espace pour eux, le Studio 13-16, interdit aux majeurs.
Les responsables de l'espace nous ont fait clairement comprendre que des entretiens avec les adolescents présents n'auraient pas été bien accueillies et que leur préoccupation est celle de protéger ce jeune public des attaques extérieures. Sans une garde constante qui veille sur leur sureté, les ados seraient ici des victimes potentielles de journalistes sans scrupules qui viendraient ici pour les analyser à la loupe, faire des sondages, les étudier.
Quelle considérations pouvons-nous tirer de tout cela? Les ados sont des cobayes de laboratoire à protéger d'un monde trop compliqué à comprendre, trop violent à supporter et pourtant séduisant et attirant, notamment s'il est représenté par un artiste « culte ». Pour éviter tout risque de contact et, surtout, de contage, on les garde dans une belle salle au sous-sol d'un musée, fabriquer des vêtements avec des sacs en plastique en écoutant du hip-hop.
  giulietta gabo
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(1)« Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ». Article 227-24, modifié par Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 – art.35 JORF 7 mars 2007
(2) Interview à Larry Clark par Claire Guillot, « Larry Clark: une attaque des adultes contre les ados » , Le Monde, 2.10.2010

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