mardi 11 janvier 2011

Beauté. Seuil tragique et dense

1.
Beauté. Seuil tragique et dense


Une communication unique est accordée aux figures artistiques, un langage qui a accès au labyrinthe de la pensée et aux chiffres extrêmes de la vie et de l'expérience. Une forme qui tient ensemble bien et mal, splendeur et horreur, pureté et abjection.

« Beauté » est le nom par lequel Dostoevskij a nommé quelque chose d'effrayant et horrible1, l'énigme tragique et mortelle qui en même temps cache et révèle le monde dans toute sa nudité. Attribut de la réalité qui se passe ici et maintenant. Tension. Seuil indéfinissable qui se manifeste dans les contradictions qui constituent l'univers, notre existence, nous, les humains. Dans les Quaderni2, Simone Weil avait dit en suivant Platon que la beauté est la manifestation du réel. Elle a dit aussi que la vérité est un tissu « contradictoire ». La beauté est donc déchirement.

Mais quel est donc la signification de cette déchirure par laquelle le sens des choses s'exprime?

La dimension esthétique de la beauté comme attribut tragique de l'hétérogénéité du visible trouve son sens dans un au-delà. La raison de l'apparence dépasse les choses elles-mêmes. « La réalité ne s'arrête pas dans le présent parce que, comme Dostoevskij a dit, une partie vraiment énorme du réel est renfermée dans la forme d'un mot futur, encore caché, encore non dit »3.
La toile de l'artiste Lucio Fontana, par exemple, est la porte par laquelle comprendre et vivre le monde. Le geste déchirant de l'artiste ouvre une connexion avec une différence qui était par Deleuze le résultat méconnaissable, même pensable, devant lequel le philosophe s'est arrêté. La condensation de l'infini dans la raison. Par la forme et dans la mesure de l'humain : à travers l'homme. Signe d'un au-delà disponible à la compréhension. C'est une seuil tragique qui se manifeste par l'énigme. Qui sépare mais qui est quand même exposé – dans les deux parties – à l'autre territoire avec lequel, donc, elle communique.

Sur cette limite, bord obscur, l'homme a la possibilité de mesurer son existence et son potentiel, par rapport au sens que pour cela la vie peut prendre et par rapport à la puissance créatrice qui est disponible pour représenter l'expérience du monde.

Mais quel est le sens de cet au-delà ? Quelle est la faculté sensible qui peut avoir accès à ce que la limite sépare ? Et pourtant, quelle est la réaction du langage aux exigences de plus en plus urgentes et profondes ? Quelle réaction devant la possibilité d'un contact avec une terra incognita, territoire inconnu et encore incalculable ?

 
1 Evdokimov Pavel Nikolaevic, Teologia della Bellezza, L'arte dell'icona, Ed. Paoline, Torino, 1990, cit. p. 61. Evdokimov, en 1942, a consacré sa thèse au problème du mal par Dostoevskij (Dostoevskij e il problema del male, Roma, Città Nuova, 1995). Il a soulevé la question d'une beauté à laquelle est accordée la possibilité de sauver le monde. Thème repris et élargi après, dans Teologia della Bellezza. L'arte dell'icona, Torino, Ed. Paoline, 1990.
2 Cfr. Weil Simone, Quaderni, a cura di Giancarlo Gaeta, Adelphi, Milano, 1982-1993.
3 Franco Rella, L’enigma della bellezza, cit., p. 11.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire