jeudi 27 janvier 2011

Meet the artist DOUGLAS GORDON 

Voilà - pour compenser l'interruption de notre cycle de conférences - un interview abondant avec l'artiste écossais Douglas Gordon, une personnalité drôle et passionnante. 

Partie de notre mémoire collectif et réserve inépuisable d'images et d'histoires, on le sait depuis Jean-Luc Godard et ses Histoire(s) du cinéma (1988-1998), le cinéma occupe aujourd'hui, dans le champ artistique, la place d'un objet de référence, d'un modèle et d'un matériau. Confiants à ce que ces images évoquent notre mémoire et que leur familiarité nous facilite l'accès aux œuvres, les artistes nous révèlent des thématiques à travers une relecture et une redécouverte de ce qu'on croyait déjà connaître. Ils envisagent le cinéma comme un tout (genres, thèmes, histoires, procédés techniques, expériences du spectateur etc...) dont on peut se servir et ils procèdent de mille façons. Ils le voient comme un médium de masse qu'ils analysent, comme un réservoir de stéréotypes qu'ils dénoncent et comme une tradition de procédés visuels et narratifs qu'ils déconstruisent. Ils mettent en doute la fiction, rompent avec les lois de la narration et les dispositifs qu'ils déploient questionnent la nature des images en mouvement, les conditions de leur projection et de leur perception. Souvent il s'agit d'interventions exiguës sur le matériau d'origine, alors la présentation des œuvres (dispositif, accrochage muséologique, parcours d'exposition) et la place du spectateur (exempté du fauteuil velouté qui l'immobilise) deviennent des questions essentielles dans cette nouvelle approche du cinéma.

Les installations vidéo de Douglas Gordon sont emblématiques de ce lien qui unit le cinéma et l'art contemporain des années quatre-vingt-dix. Il fait partie de cette génération d'artistes qui s'emparent des films et des images, les transforment et nous les exposent dans un contexte différent. Kidnapped ou  borrowed sont des termes que Gordon emploie lui-même pour décrire ses appropriations. 

Ses œuvres les plus connues sont les interventions sur des grand classiques du cinéma hollywoodien et notamment sur les films d'Alfred Hitchcock. Il en change la forme: il étire la durée du film de John Ford The Searchers (1956) jusqu'à sa durée diégétique pour en faire 5 Year Drive By, il superpose les images de deux films, The Exorcist (William Friedkin, 1973) et The Song of Bernadette (Henry King, 1943) pour en faire un: Between Darkness And Light (After William Blake); dans Hysterical et 10ms-1 il focalise l'attention sur une seule émotion répétée en boucle.

Et il en multiplie les formes d'exposition: il projette sur deux écrans juxtaposés Dr. Jekyll and Mr. Hyde de Robert Mamoulian en positif et négatif pour réaliser Confessions of a Justified Sinner; Déjà vu est la triple projection d'un même film, D.O.A. (film noir de Rudolph Maté, 1950) à des vitesses différentes; pour through a looking glass il place le spectateur entre deux écrans posés face à face sur lesquels est projetée une séquence de Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese.

Douglas Gordon s'empare de produits culturels divers, surtout du cinéma et de films cultes comme bon lui semble. Il appartient à cette nouvelle génération de cinéphiles qui a grandi avec les nouvelles technologies et notamment l'outil vidéo, qui a désacralisé le rapport de toute une génération avec les images cinématographiques, devenues facilement reproductibles et manipulables.

En 1993 Douglas Gordon a réalisé ce qu'on peut appeler son oeuvre clé. Il s'est procuré d'une copie cassette vidéo de Psycho de Alfred Hitchcock et il l'a passé dans un magnétoscope capable de contrôler la vitesse de l'enregistrement. Il a étiré le film sur une durée de 24 heures, au point que les images soient presque immobiles, Psycho devint 24 Hour Psycho et migra de la salle obscure vers la salle d'exposition. 

L'extrême ralenti de 24 Hour Psycho nous déploie méticuleusement les éléments qui constituent le film original. Sans qu'on puisse restituer le déroulement du film on découvre une multitude de significations. Gordon donne ainsi au film des nouveaux enjeux et nous permet de lire entre les lignes. Le spectateur essaie de reconstituer le film ou le récit avec ce qu'il en reste dans sa mémoire (de séances de cinéma ou de télévision passées). Mais à cause de l'extrême lenteur on perd tout sens du déroulement du film. L'anticipation du spectateur sur ce qu'il sait va se passer (ce qui était autrefois un procédé narratif cher à Hitchcock: le suspense) se transforme en attente. Le décalage entre ce qu'il sait et ce qu'il voit est trop important.

« Le spectateur est tiré vers le passé mais aussi vers le futur lorsqu'il réalise que l'histoire, qu'il connait déjà, ne semble jamais se dérouler assez rapidement. Entre les deux, se trouve aussi un présent qui évolue tout doucement et se dissout, tout en restant hors du temps » Douglas Gordon en conversation avec Oscar van den Boogaard, dans « Déjà-vu - Douglas Gordon Questions and Answers, Volume 2 1997-1998, » Éditions des musées de la ville de Paris, Paris, 2000

Gordon joue sur la complexité de notre mémoire, collectif et individuel. Il s'exprime à travers les autres mais nous révèle ses thèmes: La fatalité, la culpabilité, la confiance, le désir, la folie, la dualité, le temps et la mort. Les simples interventions techniques déclenchent des effets d'intensité inattendus qui donnent de l'emphase à nos émotions. Gordon évoque notre passé et démontre nos désirs. Il aime créer la confusion; pour mieux nous faire comprendre. Et ce qui constitue le véritable matériau de l'artiste, c'est le destinataire lui-même – le spectateur. 

YvnRue 217858 

Voici la conférence, en deux parties : 
(pour vous epargner l'ennuyeux introduction - l'interview commence à 00:15:51)


" I swear this is the only truth i'd ever speak... Trust me! "

 

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