mardi 11 janvier 2011

Responsabilité humaine



5.
Responsabilité ontologique de l'être et du savoir


L'acte créateur par lequel l'homme cherche à explorer et exprimer ce qui excède est la tâche des individus vers la vérité. Mais pas seulement. Création et Art sont des espaces de possibilité pour donner un sens aux formes du monde mais elles sont aussi clés pour accéder à l'inconnaissable. Et tout cela assigne une grande responsabilité à l'être humain.

Comme on l'a déjà dit, l'illusoire apollinien exorcise le rien profond qui pourrait être derrière l'apparence. Il le sauve de l'abîme dionysiaque. L'énigme et le signe proustien montrent le conflit meurtrier qui existe entre l'homme et Dieu. Ils sont notre seule chance de salut.

Nietzsche parle par la forme du labyrinthe, en posant des énigmes qui mettent en jeu notre totalité. « Le labyrinthe est aussi le parcours décrit par l’écriture de Bataille dans l’exacte mesure où cette écriture n’a cessé de se décrire (de se dé-écrire), c’est-à-dire de se reprendre et se relancer, de se perdre et de se reproduire dans un mouvement que l’on pourrait dire référentiel s’il n’était à la fois perte de soi et du référent »1. Bataille à travers cette forme nous fait sentir une honte indicible. Fontana parle à travers une art physique, matériel, tangible, qui dépasse ses propres possibilités et nous ouvre vers une dimension inattendue. Le labyrinthe, la langue obscène et la toile deviennent développements artistiques et humains des énigmes visibles, accessibles, qui peuvent être tentés.

Si l'apparence est la figure de l'invisible, la clé qui ouvre l'abîme de la vérité, l'homme étant mortel doit être un élément actif, créatif et conscient de cette responsabilité artistique qu'il a vers la vie et vers lui même. Si on regarde l'abîme, on sera regardé par l'abîme, dit Rella en se référant à Nietzsche2 : « Celui qui tire les yeux dans l'abîme a le vertige, mais il ne peut pas s'empêcher de regarder dans le fond, jusqu'au moment qu'il sera regardé par l'abîme lui-même. La relation entre l'individu et l'absolu, libéré de la médiation de la généralité, est un espace où tout peut arriver. C'est précisément fixer cette possibilité qui nous fait précipiter dans la vertige, dans l'angoisse de la liberté3.

Tout acte d'expression créative exprime un besoin d'aller plus loin et une responsabilité maintenant déclarée. Tourner les yeux sur l'abîme, vouloir comprendre et créer une connexion entre le singulier et l'universel devient en chacun de nous une nécessité. Il faut prendre le risque. Se mettant en jeu complètement. Laissant le jugement et la raison. Conscient que tout peut se passer, même tomber dans une dimension tragique, d'extrême et aigüe anxiété. La crise, le chagrin, le désespoir. Sans aide aucun dans le monde.

Bataille, se référant à Nietzsche : « J'abandonne le bien et la raison (le sens), j'ouvre sous mes pieds l'abîme. […] Au moins, la conscience de la totalité est d'abord crise et désespoir. Si je laisse les perspectives de l'action, je vais révéler ma nudité parfaite. Je suis dans le monde sans aide, sans appui. Je coule. Il n'y a aucune solution qu'une contradiction sans fin, où seule ma « chance » me portera4.
L'œuvre d'art est dépense, don sans contrepartie, communication entre les êtres5. Dans la fête, dans le sacrifice, dans la violation des interdictions, le temps de l'art est un temps suspendu, intempestif étant contemporain6 (je fais référence à Roland Barthes et Giorgio Agamben) : c'est l'obscurité intime du temps. On perçoit dans cela une lumière qui vient vers nous, qui en même temps s'éloigne à l'infini.

Dans cette suspension du temps, dans ce faisceau de lumière et de ténèbres qui nous interpelle et nous invite, l'Art nous ramène à la tragédie d'une blessure insupportable. Responsabilité d'un homme nu : vivre l'impensable et l'indicible. Trouver une forme pour donner une voix au marginal. Pour devenir lien entre la pensée et l'expérience, entre le possible et l'impossible. C'est la nature de l'être humain.
Fontana avait déclaré que l'artiste intervient dans la société pour maintenir vivante la raison d'être homme7. Parce que l'artiste, étant individu, est capable de forme.


1 D. Hollier, La Prise de la Concorde, p. 111.
2 Rella, Negli occhi di Vincent, Feltrinelli, Milano, 1998, p.129.
3 ibid., p. 107.
4 Bataille Georges, Su Nietzsche, ES, Milano, 2006, cap.8. La traduction est la mienne.
5 Deleuze affirme qu'il ne faut pas confondre communication et information: “Quel est le rapport de l'œuvre d'art avec la communication? Aucun. L'œuvre d'art n'est pas un instrument de communication. […] L'œuvre d'art ne contient strictement pas la moindre information”, Gilles Deleuze, Qu'est-ce que l'acte de création?.
6 Cfr. Agamben Giorgio, Che cos’è il contemporaneo?, ed. i sassi nottetempo, Roma, 2008, p. 8.
7 Cfr. Fontana in Hess Barbara, Lucio Fontana, ediction italienne. Rossella Botti, Modena, Taschen, Colonia, octobre 2006.


Francesca Rolla

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