mardi 11 janvier 2011

Le signe. Attribut sensible et énigmatique de la substance



4.
Le signe. Attribut sensible et énigmatique de la substance



Sempre di nuovo davanti all’enigma, davanti all’abisso parlando anche la lingua dell’abisso. Questa è la terribile sapienza tragica. Questo è spingersi sempre di nuovo alla domanda, che genera tutte le domande, e che spinge a superarsi, ricominciando a domandare. Questo è amore di sapienza, questo è filosofia.
Rella


L’existence s’impose à moi comme une énigme à résoudre. La vie, je l’ai reçue comme une épreuve à surmonter.
Bataille




C'est difficile d'imaginer un langage au-delà du logos qui exprime un discours significatif. Mais si création et art sont deux espaces possibles dont l'homme peut se servir pour s'approcher à quelque chose d'inaccessible et inconnaissable, la langue de cette instance doit être construite à travers un acte créatif.

Penser, c'est toujours interpréter, c'est-à-dire expliquer, développer, déchiffrer, traduire un signe. Traduire, déchiffrer, développer sont la forme de la création pure. […] L'Idée est déjà là dans le signe, à l'état obscur de ce qui force à penser. Nous ne cherchons la vérité que dans le temps, contraints et forcés”1.

La tâche de l'être humain vers la Vérité est un acte créatif. Tout cela devient, chez Nietzsche, le seul sens possible du mot « vérité » : sa propre construction, sa disponibilité au sens, son coexister avec un voile. Une Vérité en soi n'est pas donnée, c'est-à-dire qu'il n'y a aucun sens étant donné en dehors de l'art, un sens objectif, à découvrir. Si la vérité est femme, il est certain qu'elle ne s'est pas laissée séduire. Personne ne l'a jamais découvert ».

Nietzsche se réfère à une veritas foemina, une vérité femelle, qui en tant que femme est couverte et totalement constituée par les voiles de la séduction. Les voiles du paradoxe nietzschéen sont l'apparence qui sauve l'homme de la vision directe de la Vérité. Autrement elle l'aveuglerait par l'horreur d'un réel qui est abîme, néant. Mais ces voiles deviennent substance esthétique et ontologique, moyens par lesquels dans la tragédie la vérité transparaît.

La femme nietzschéenne est le féminin de la connaissance, une femme charmante dans son “apparaître parfaitement changeante et insaisissable”, une femme qui séduit parce qu'elle cache un secret. Une femme couverte d'un voile, où le voile est la seule forme d'accès à la vérité. L'apparence n'est plus à considérer comme le voile de Maya à nier et à enlever. Selon Nietzsche, c'est un artifice apollinien, tissage des femmes, qui couvre le monde de l'apparence, monde révélé2 qui ne peut pas être dévoilé. Le voile devient structure essentielle de la physis, vérité artistique. La vérité nous est donnée que sous cette forme.

C'est le non-apparent qui soutient l'apparent. Grâce à cette intuition subtile, l'art devient vérité, pour nous protéger de l'horreur de l'abîme dionysiaque et en créant des formes sensibles à travers lesquelles le non-apparent peut se manifester. Voilà la puissance du signe. La vérité est voilée. La physis est voilée. L'attraction est générée par les signes, dans les voiles qui nous font entrevoir les choses. C'est le secret de la séduction, tension maximale. On rencontre le signe qui se présente devant nous comme l'insensible essentiel, nous obligeant à réfléchir sur le lien entre apparence et vérité.

Mais d'où vient la violence de la connaissance deleuziéenne qui force l'individu à penser et qui amène Deleuze à décrire l'être humain sans visage et sans voix ? Qu'est-ce qui permet au signe d'être activé comme point de départ pour un au-delà qui est dans la chose, dans l'objet ?

Nietzsche a provoqué la Sphinx : « Sphinx, je suis quelqu'un qui demande, comme vous : on a cela en commun – on arrivera peut-être à parler avec la même bouche. » Mais Deleuze exproprie le sens tragique de la pensée de Nietzsche. Il défigure ce qui importait le plus au philosophe. Le « complexe d' Œdipe » devient simplement l'« Œdipe », en liquidant l'instance de subjectivité. L'apparence et la surface nietzschéenne est une ligne droite sans épaisseur, dense de points neutres, sans histoire, sans mémoire, sans visage. Devenir insensé. L'absence de sens. Ou plutôt le signe comme événement pur, indifférent, non défini. Ecce, sans passé, sans avenir.

Mais les Grecs étaient superficiels – par profondeur3. Cela est Nietzsche. Prophète du nomadisme et du fragment. « Donner un sens », « absolument » c'est la tâche de l'être humain.
Du Dionysos nietzschéen qui absorbe l'Apollon dans la Nascita della tragedia ce qui reste chez Deleuze est seulement la « machine dionysiaque ». Par contre, la nature de Dionysos est mâle, femelle et animal ensemble. Dieu de l'arrogance du savoir, Dionysos dieu de contradictions, de l'inépuisable à travers la fragmentation. Dionysos qui joue et tue, dieu du labyrinthe ; qui rit et détruit avec son visage féminin, qui par l'extase orgiaque libère les contraintes de l'individu et offre un état de conscience folle, hallucinatoire, marqué par des visions, qui déclenche une nouvelle forme de réalité, la mania, révélation de la nature divine et de sa connaissance. Alors que le réel humain pour Deleuze est sans contradictions.

Mais est-ce que c'est possible que le Dionysos puisse intégrer la férocité et la puissance créatrice d'Apollon ?

La Sagesse d'Apollon est le chiffre de son essence. Apollon s'exprime par la parole et l'accorde à l'individu. Mais il se tient à l'écart, en agissant à distance. L'homme reçoit les mots d'Apollon qu'il ne comprend pas et qu'il prononce à bouche folle. Cette parole sera interprétée comme sagesse.

Apollon, dieu de l'arc et de la lyre, ses attributs contradictoires et dominants, dans lesquels se trouve la duplicité d'« Apollon l'oblique », dieu bénin et exaltant de l'Art, de l'illusoire, de l'apparence gratifiante et de la musique persuasive. Dieu terrible et dévastateur. Avec son arme énigmatique et meurtrière il choisit sa victime à distance et il lance sa flèche. Apollon caractérisé par une violence maligne différée, qui tue avec la parole, moyen d'expression qui n'appartient pas à sa sagesse, mais qui est médiatrice entre la nature divine et la nature mortelle, moyen pour stimuler la connaissance humaine.

Comment peuvent Apollon et Dionysos résoudre leur tragédie dans un seul dieu ? Comment peuvent leurs caractéristiques si pleines de vie et de mort s'entremêler, s'unir et se simplifier dans une machine – dionysiaque – qui procède virtuellement ? Comment peut Apollon ne pas être considéré dans un discours qui concerne les pensées et les formes ?

La nature d'Apollon est double et contradictoire : « le dieu effleure à l'homme que la sphère divine est sans fin, insondable, capricieuse, folle, dépourvue de nécessité, arrogante, mais la manifestation de cela dans la dimension humaine sonne comme une règle impérieuse de modération, de contrôle, de limitation, de bon-sens et de nécessité ». A l'entrée de l'oracle de Delphes, l'impératif : « Connais - toi ». Apollon par son pathos incontrôlé donne un signe et lance un défi à l'être humain. La formulation de l'énigme par le dieu l'invite à lui désobéir. Intrigue sombre et manifestation hostile dans la parole de ce qui est divin, caché, d'une intériorité indicible.

Le savoir apollinien où le dieu Apollon symbolise l'œil pénétrant, qui accorde sa parole à travers l'oracle, mais qui frappe les humains d'une distance maligne et différée. Il connaît l'avenir, le manifeste à l'individu mais, féroce, ne semble pas vouloir lui faire comprendre.

Le tragique gagne toujours sur la rédemption artistique4. Voilà la violence du signe.

Apollon est responsable des signes, de l'art et de la tromperie entre apparence et Vérité. L'art et l'artiste recouvrent la vérité avec un soin extraordinaire. C'est un acte créatif. Aucun autre est révélé. Aucune essence de vérité. Mais l'apparence, le signe, ce qui est sur la surface – main, voile, toile, parole écrite – énonce énigmatiquement la vérité. Attribut de la substance et structure essentielle de la physis.

1 Gilles Deleuze, Proust et les signes, Puf, p.119.
2 Dans la traduction italienne la parole « «révélé » crée un jeux de mots: « ri-velato » où « velato » veut dire « voilé ».  
3 Nietzsche, La gaia scienza. Pref. IV.
4 L'homme qui résout l'énigme est traditionnellement Œdipe. Œdipe dont la vie, pas par hasard, est profondément tragique. Celui qui tombe dans la piège de l'énigme est condamné. L'énigme est un jeu mortel, impossible rationnel exprimé par un objet réel. L'énigme est une contradiction tragique, contraste entre la libre circulation des contenus qui désigne quelque chose de réel et le danger extrême. Résultat tragique et mortel pour le non-dénouement.


Francesca Rolla

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